Le jour où j’en ai eu marre de travailler dans un bureau

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J’ai repris le travail, les vacances sont finies.

Mon psoriasis est revenu et me fait de plus en plus souffrir.

J’ai repris le chemin vers un travail que je supporte de moins en moins.

Retrouver mon petit bureau nul, au milieu de ces murs tristes, m’enfermer toute la journée. Dire bonjour à des gens qui ne m’intéressent pas, écouter les récits de vacances en rêvant d’être ailleurs.

Dire « Salut, ça va ? » et s’en fiche de la réponse.

Réunion. Mails. Pause-café. Mails. Téléphone. Pause-déjeuner d’un sandwich avalé en vitesse. Re réunion pour ne rien dire. Re mails. Fin de la journée. Rentrer chez soi. Retrouver la vraie vie : William, les enfants, de vrais gens, quoi.

Le lendemain, recommencer.

J’en ai marre des faux-semblants et des jeux de dupe. C’est à qui cirera le plus les chaussures du directeur. A qui mettra le plus de personnes en copie quand il envoie un mail. A qui partira le plus tard le soir. A qui rira le plus fort à la blague misogyne de Denis.

Je m’en fiche si la fille de Julie fait caca mou ou si Madeleine est encore allée à Marrakech. Je ne supporte plus Clémence qui s’habille comme une prostituée. Aurélien, le petit jeune arriviste, a les dents qui rayent le parquet et croit qu’il sait tout sur tout. Jérémie voudrait prendre ma place et guette le moindre signe de démission. Claire confond gentillesse et hypocrisie et pense que faire six pauses-cigarette par jour lui donne l’air très occupé. Daphnée est déprimée et, du coup, elle déprime tout le monde. Ingrid, la secrétaire, est incapable de comprendre comment fonctionne une boîte mail et m’appelle à chaque fois qu’elle veut ajouter une pièce-jointe.

Je fais la version courte, je pourrai en parler des heures.

Pendant ce temps, les enfants grandissent.

J’ai toujours pensé que travailler était un impératif à mon bonheur, et je le pense encore. Mais le fait d’avoir ouvert mon entreprise sur mon temps libre et d’être mon propre patron, même pour gagner des clopinettes, m’offre de nouvelles perspectives. Oui, il est possible de travailler en sachant pour quoi et pour qui on travaille. Il est possible de donner du sens à son action. Il est possible de décider seule, avec la bride lâche, dans quelle direction on va aller et de savoir que les décisions qu’on prend vont au-delà de « comment va-t-on annoncer à son directeur que le dossier ne sera pas bouclé vendredi, mais lundi ? »

J’aime créer un produit, l’imaginer, tâtonner, essayer, et finalement, le trouver. Faire un prototype, le faire tester, l’améliorer. Associer les couleurs, les matières. Le réaliser en plusieurs exemplaires, le prendre en photo, le mettre sur le site internet, et enfin, le vendre. L’envoyer, avoir un retour positif de l’acheteur. Imaginer le produit suivant.

Malheureusement, sur ces quelques euros récoltés, seule une petite partie pourra faire office de « salaire » ; le reste sera réutilisé pour payer les charges sociales, financer d’autres matières premières et améliorer mes outils de travail. L’American Dream n’est pas encore arrivé en France.

J’ai des idées, des envies. Mais le banquier auprès duquel nous avons fait notre crédit pour la maison, l’assistante maternelle qui garde notre petite Juliette, le directeur de l’école privée de Robin et le gérant de la station essence où nous faisons le plein de nos deux voitures (indispensables à la campagne) ne se nourrissent pas d’idées et d’envies. Il leur faut des euros sonnants et trébuchants.

Alors, j’abandonne mes rêves de grandeur et je retourne au bureau en traînant des pieds, pour boucler mon dossier, les fesses vissées sur une chaise « ergonomique » conçue spécialement pour les gens qu’on enferme dans des boîtes de 9h à 18h, 5 jours sur 7 et qui n’ont rien d’autre à faire que d’obéir à des ordre en attendant leur chèque à la fin du mois.

 

Graeme Allwright

 

Petites belles très étroites
Petites boîtes faites en ticky-tacky
Petites boîtes, petites boîtes
Petites boîtes toutes pareilles
Y a des rouges, des violettes
Et des vertes très coquettes
Elles sont toutes faites en ticky-tacky
Elles sont toutes toutes pareilles

Et ces gens-là dans leurs boîtes
Vont tous à l’université
On les met tous dans des boîtes
Petites boîtes toutes pareilles
Y a des médecins, des dentistes
Des hommes d’affaires et des avocats
Ils sont tous tous faits de ticky-tacky
Ils sont tous tous tous pareils

Et ils boivent sec des martinis
Jouent au golf toute l’après-midi
Puis ils font des jolis enfants
Qui vont tous tous à l’école
Ces enfants partent en vacances
Puis s’en vont à l’université
On les met tous dans des boîtes
Et ils sortent tous pareils

Les garçons font du commerce
Et deviennent pères de famille
Ils bâtissent des nouvelles boîtes
Petites boîtes toutes pareilles
Puis ils règlent toutes leurs affaires
Et s’en vont dans des cimetières
Dans des boîtes faites en ticky-tacky
Qui sont toutes toutes pareilles.

 


6 réflexions sur “Le jour où j’en ai eu marre de travailler dans un bureau

  1. Votre texte « le jour où » m’a touché et énervé. Votre description du bureau est celle que l’on fait lorsqu’on a perdu la motivation de se lever pour aller bosser, lorsqu’on se rend compte qu’il y a des choses plus importantes, plus passionnantes et en règle générale, lorsqu’on se rend compte que notre temps ici-bas est compté. Vous avez fait la première étape: constater que vous ne vouliez pas réaliser le rêve d’un autre. Malheureusement vous semblez conditionnée à penser que vous n’avez pas ce qu’il faut pour réussir de vous même et que vous conservez votre job pour sa stabilité (et votre situation familiale). Que ce soit bien clair, il est impossible de réussir sur le côté. Les activités sur le côté, c’est très bien pour se faire mousser et se dire qu’on a autre chose dans sa vie, ça permet de ouvrir les yeux. Si vous voulez être rémunérée de votre travail, vous devez faire le grand saut. Avant ce saut, vous devez visualiser le pire qui puisse arriver et savoir si vous aurez la niak pour vous en remettre. une fois l’exercice fait, il n’y a aucune raison pour ne pas faire le saut tant que vous croyez en vos capacités (le produit ou l’idée on ne sait jamais ce que ça va donner). Le prix de la liberté de faire ce que l’on veut faire, c’est l’incertitude, il faut s’en accommoder. Rien n’est jamais acquis pour l’entrepreneur, c’est ce qui fait se réveiller Elon Musk en hurlant en pensant aux dettes qu’il a accumulées pour financer Tesla ou stresser Eric Domb lorsqu’un de ses pandas est malade. En résumé, arrêtez les blablas, cherchez de quoi vous lancer en termes d’aides et une fois prête, allez en parler avec votre directeur. Dans deux ans vous aurez réussi à vivoter, fleurir ou échoué. Dans le dernier cas, une autre boite sera prête à vous embaucher. Courage! ne soyez plus complice de votre dégoût de votre vie professionnelle.
    Finalement, sur un dernier point, il faut signaler que toutes les entreprises ne se ressemblent pas et que le principal est de correspondre à la culture et la vision de l’entreprise dans laquelle on se trouve. Si vous n’adhérez pas au projet ou que vous vous sentez un imposteur, il est impossible que vous soyez épanoui au boulot.
    Bien à vous,
    Matthieu D.

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    1. Merci pour ces paroles sensées. J’ai déjà créé ma structure, je suis actuellement en test et ça démarre très fort. Mais tous les calculs prévisionnels que je peux faire si j’en faisais mon activité principale me donnent comme résultat que cela ne couvrira pas les charges (prêt maison etc). Je n’arrive pas du tout à me projeter au-delà d’un an d’activité pour savoir s’il y a une croissance possible.
      Je suis tout à fait consciente que la vision que j’ai de mon emploi actuel est déformée par le manque de motivation et loin de moi l’idée de vouloir généraliser.
      Je ne pense pas retrouver facilement dans mon domaine dans la région où j’habite, c’est même une certitude. Si mon projet ne fonctionne pas, je n’ai aucune porte de sortie dans mon métier d’origine. Il faudrait que je creuse une éventuelle « mise en disponibilité » de mon emploi actuel pour avoir au moins un filet de secours.
      Mais je suis d’accord, on n’a rien sans rien, le métier d’entrepreneur est passionnant mais très risqué. Chaque choix est un renoncement à autre chose. Je suis tout à fait intéressée par les avis extérieurs, merci pour cette discussion fort intéressante 🙂

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      1. En ce qui concerne les charges sociales, la 1ere année il est possible de demander une réduction de cotisations, si d autre part vous êtes mariée il est également possible de travailler dans le cadre de l art 37 ce qui pourrait réduire les cotisations à rien. Et donc de lancer votre activité sans trop de risque. Pour plus de renseignements contactez moi, ce serait dommage d abandonner. (***********@hotmail.fr)

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      2. Je me suis complètement reconnue d’autant que mon compagnon s appelle William aussi et qu’on vit à la campagne..les pleins à 400€ chacun le mois..on connaît…et on pleure pour la crèche du petit et le crédit maison.
        J’ai tenté l entrepeneuriat hélas ca ne payait pas assez et comme tu dis le banquier ne se nourrit pas de nos rêves
        Je cherche ailleurs du taf dans une boîte qui aura du sens style asso avec des collègues moins cons

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  2. Votre texte me rassure, merci! Vous avez mis des mots sur ce que je ressens aujourd’hui et cela me déculpabilise un peu de ne pas me sentir seule. Le dégoût que le quotidien dans mon entreprise m’inspire, la futilité des relations avec les collègues, le sentiment de perte de temps, l’envie de reprendre possession de ma vie et de mon temps… Pour moi, le déclencheur a été la perte de ma maman, depuis je ne veux plus perdre de temps, il est si précieux! Par contre, je n’ai pas le courage de sauter le pas et de me lancer, j’ai des idées mais ne sais pas comment les réaliser. Pourtant je pense qu’il faut essayer, de toutes ses forces, pour ne pas regretter. Bref, je vous souhaite de trouver ce courage et de vous épanouir. Encore merci d’avoir osé partager cela.

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  3. En réponse à Jacques : les charges sociales doivent être payées, tot ou tard… j’ai bénéficié des ACCRES et je peux vous assurez que la 3eme année est bien plombée par le remboursement des charges de la 1ere année !
    Marie, je suis assez d’accord avec le témoignage de Matthieu. A un moment, il faudra te décider, nous savons de toute façon que le temps t’es compté…
    Par contre, connaissant mieux ta situation que d’autres ici : est ce qu’il n’y aurait pas moyen de passer en mi temps ou en 75% ? Te dégager des journées pour faire autre chose. Concernant tes recherches, ne te décourages pas, tu pourras peut être trouver un autre poste ?
    Bises

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